Le débat sur la Corse


 

 

La loi relative à la Corse

La décision du Conseil constitutionnel

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Le référendum en Corse conservera à l'île un statut particulier

Le projet de loi qui prévoit le 6 juillet 2003 un référendum portant sur la création d'une "collectivité unique" en Corse doit permettre à l'île de conserver un "statut particulier". Selon l'annexe du projet de loi, adopté par le conseil des ministres le 30 avril, la Corse deviendrait, en cas de victoire du "oui" (1), une collectivité unique qui aurait seule la personnalité morale, serait seule habilitée à lever l'impôt et à recruter du personnel, et son assemblée délibérerait sur les affaires de la Corse.

Deux conseils territoriaux, correspondant aux actuels départements, seraient chargés de l'application de certaines compétences de proximité au nom de l'Assemblée de Corse. Chaque conseil territorial serait constitué des conseillers de l'Assemblée de Corse élus dans le département correspondant.

(L'Èime Prouvençau, n°51, mars-avril-mai 2003)

1- Les électeurs corses ont finalement rejeté ce projet de fusion des deux départements, lors du référendum du 6 juillet 2003.

Décision du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la Corse : un État de moins en moins monolithique

Bien que partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, la loi sur la Corse constitue un nouvel accroc dans l'organisation jacobine de l'État. Les sages valident en effet des "différences de traitement" justifiés par des caractéristiques géographiques et économiques. Les Corses n'auront pas la possibilité de procéder à des expériences comportant des dérogations aux règles en vigueur lorsque des dispositions législatives présentent des difficultés liées aux spécificités de l'île. Ainsi en a décidé, sans surprise, le Conseil constitutionnel, le 17 janvier. Pour les gardiens de la Loi fondamentale, "le législateur ne saurait déléguer sa compétence dans un cas non prévu par la Constitution (...), fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans le temps".

En revanche, le Conseil constitutionnel a validé les dispositions permettant à la collectivité territoriale de Corse d'adapter les textes réglementaires. Aux termes de l'article 72 de la Constitution, "les collectivités territoriales de la République... s'administrent librement", rappellent les neuf sages, pour lesquels "ces dispositions permettent au législateur de confier à une catégorie de collectivités territoriales le soin de définir, dans la limite des compétences qui lui sont dévolues, certaines modalités d'application d'une loi", hors du champ des libertés publiques.

La position du Conseil constitutionnel est également intéressante s'agissant des nouvelles compétences transférées à la collectivité territoriale de Corse. Les sages observent "qu'aucune des dispositions contestées ne peut être regardée comme portant atteinte à l'invisibilité de la République, à l'intégrité du territoire ou à la souveraineté nationale".

Pour le Conseil constitutionnel, "eu égard aux caractéristiques géographiques et économiques de la Corse, à son statut particulier au sein de la République et au fait qu'aucune des compétences n'intéresse les conditions essentielles de mise en œuvre des libertés publiques, les différences de traitement qui résulteraient de ces dispositions entre les personnes résidant en Corse et celles résidant dans le reste du territoire national ne serait pas constitutives d'une atteinte au principe d'égalité".

Au nom de quoi, aujourd'hui, l'État peut-il encore refuser aux régions identitaires un "statut à la carte", que Michel Vauzelle a pu appeler de ses vœux l'an dernier ? Pas de la Constitution, en tout cas, ni du principe d'indivisibilité de la République. Cela devrait nourrir le débat électoral qui s'ouvre.

(L'Èime Prouvençau, n° 45, janvier-février 2002)

Décision sans surprise du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a rendu une décision sans surprise le 17 janvier 2002, en censurant partiellement la loi relative à la Corse. Les gardiens de la Loi fondamentale ont en effet jugé inconstitutionnel le point 4 de l'article 1er de la loi, permettant à l'Assemblée de Corse de procéder à des expérimentations comportant des dérogations aux règles en vigueur, lorsque des dispositions législatives présentent des difficultés liées aux spécificités de l'île. Pour le Conseil constitutionnel, "le législateur ne saurait déléguer sa compétence dans un cas non prévu par la Constitution (...), fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans le temps".

Sur la question de l'enseignement de la langue corse, le Conseil constitutionnel n'a fait que confirmer une jurisprudence constante depuis l'examen de la loi de 1991 portant statut de la collectivité territoriale de... Corse. Le Conseil rappelle que, "si l'enseignement de la langue corse est prévu "dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires", il ne saurait revêtir pour autant un caractère obligatoire ni pour les élèves, ni pour les enseignants. Il ne saurait non plus avoir pour effet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci. Sous réserve que l'enseignement de la langue corse revête, tant dans son principe que dans ses modalités de mise en œuvre, un caractère facultatif, l'article 7 n'est contraire ni au principe d'égalité, ni à aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle".

20 janvier 2002

Les dispositions votées par l'Assemblée nationale

Voici les principales dispositions du projet de statut pour la Corse, adopté par l'Assemblée nationale le 22 mai 2001.

"Lorsque l'Assemblée de Corse estime que les dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration présentent, pour l'exercice des compétences de la collectivité territoriale, des difficultés d'application liées aux spécificités de l'île, elle peut demander au gouvernement que le législateur lui ouvre la possibilité de procéder à des expérimentations comportant le cas échéant des dérogations aux règles en vigueur, en vue de l'adoption ultérieure par le Parlement de dispositions législatives appropriées".

Les Corses favorables à la généralisation de l'enseignement de leur langue patrimoniale

Le projet de loi sur la Corse prévoit notamment l'enseignement de la langue corse à tous les élèves des écoles maternelles et élémentaires, sauf volonté contraire des parents. Cette disposition, qui divise la classe politique nationale, est souhaitée par la majorité des Corses. L'été dernier, un sondage CSA pour Marianne révélait que 81 % de la population de l'île y était favorable (47 % tout à fait favorable et 34 % assez favorable). Début avril (sondage Louis-Harris pour RCFM, France 3 et Corsica), 56 % des Corses (contre 41 %) demandaient le maintien de cette disposition dans le projet de loi, malgré les réserves du Conseil d'État dans son avis du 8 février.

(L'Èime Prouvençau, n° 39, janvier-février 2001)

Dix-sept régions à statut particulier en Europe

La Corse est l'une des dix-sept régions à statut particulier que compte l'Union Européenne. C'est la seule qui se trouve en France, les autres étant réparties entre l'Italie, qui en compte cinq (Val d'Aoste, Trentin-Haut-Adige, Frioul-Vénétie julienne, Sicile et Sardaigne), l'Espagne et ses quatre communautés autonomes (Catalogne, Euskadi, Galice et Navarre), le Royaume-Uni (Écosse, Pays de Galles et Irlande du Nord), le Portugal (Madère et les Açores), les Pays-Bas (la Frise), le Danemark (les îles Féroé) et la Finlande (les îles Aaland).

Les compétences des régions et celles de la collectivité de Corse

Les lois de décentralisation de 1982-83 ont accordé un certain nombre de compétences aux régions. Le conseil régional a ainsi "compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l'aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité".

Plus concrètement, le législateur a confié aux régions des compétences spécifiques dans trois domaines principaux :

* Le développement économique ;

* La formation : lycées, formation professionnelle initiale et continue, apprentissage.

* L'aménagement du territoire.

Les Régions ont également compétence en matière de tourisme et de transports. Depuis 1997, la Provence-Alpes-Côte d'Azur expérimente ainsi la décentralisation des transports ferroviaires régionaux de voyageurs (1,2 milliard de francs sur un budget régional 2001 de plus de 6 MdF).

Les Régions restent cependant les parents pauvres de la décentralisation. Les récentes réformes de la fiscalité locale l'ont montré, en réduisant leur autonomie fiscale. La part de la fiscalité dans les ressources des Régions est ainsi passée de 58 à 36 % à la suite de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et de la taxe professionnelle et celle des droits de mutation. Ces ressources propres sont aujourd'hui remplacées par des dotations de l'État.

Créée par la loi de 1991, la collectivité territoriale de Corse dispose d'une plus grande autonomie que les Régions. Ses compétences s'étendent en effet à l'agriculture, à l'urbanisme et à la protection de l'environnement. Ses ressources fiscales sont également plus importantes, puisqu'elle bénéficie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et des accises sur les alcools.

"L'identité culturelle" dans le projet pour la Corse

L'avant-projet de loi sur la Corse donne de nouvelles compétences à la collectivité territoriale de Corse (CTC) en matière "d'identité culturelle".

Outre la carte des implantations de l'enseignement secondaire, la CTC arrêtera la carte des formations, à l'exclusion des formations post-baccalauréat. Cette carte devra faire l'objet d'une convention avec l'État, qui inclura notamment les moyens arrêtés par celui-ci.

La CTC pourra organiser ses propres actions de formation supérieure et de recherche. Elle "finance, construit, équipe et entretient les établissements d'enseignement supérieur", prévoit le texte, l'État finançant les activités pédagogiques et de recherche.

S'agissant de la langue corse, elle est "enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires à tous les élèves, sauf volonté contraire des parents ou du représentant légal de l'enfant". L'assemblée de Corse devra adopter un plan de développement de l'enseignement de la langue et de la culture corses, dont les modalités d'application feront l'objet d'une convention avec l'État.

Scola Corsa "se réjouit d'apprendre que les accords de Matignon prévoient la généralisation de l'enseignement de la langue corse" mais rappelle qu'une telle mesure a déjà été annoncée à plusieurs reprises depuis 1983. "Si elle était mise en application, I'avancée en matière d'enseignement serait significative".

(L'Èime Prouvençau, n° 38, novembre-décembre 2000)

L'Unioun Prouvençalo demande l'élargissement des accords de Matignon

Réunie en assemblée générale à Lourmarin (Vaucluse) le 23 septembre 2000, l'Unioun Prouvençalo prend acte des avancées proposées par le gouvernement dans le cadre du processus de Matignon sur la Corse.

L'Unioun Prouvençalo demande que les grands principes de ces accords soient élargis aux autres régions françaises, et notamment à la Provence-Alpes-Côte d'Azur.

L'enseignement du provençal et du niçois doit ainsi prendre place dans l'horaire normal des écoles maternelles et primaires de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Pour leur permettre de s'enrichir de la culture et des langues historiques de la région dans laquelle ils vivent, tous les enfants doivent bénéficier de cet enseignement, sauf avis contraire des parents.

Les conseils régionaux doivent se voir donner la possibilité d'adapter certaines dispositions législatives ou réglementaires aux spécificités du territoire dont ils sont l'expression.

L'Unioun Prouvençalo demande que la Région puisse bénéficier d'une large autonomie d'initiative dans les domaines qui intéressent son développement, à l'exclusion des pouvoirs régaliens de l'État (Justice, Défense, Affaires étrangères...). Cette compétence devra être accordée dans le respect des prérogatives des autres collectivités territoriales de la région.

Cette évolution, qui engagera la France sur la voie d'un plus grand respect de la démocratie locales, devra s'accompagner d'une réforme de la fiscalité, de façon à donner aux régions la capacité de percevoir leurs propres ressources et de diminuer progressivement le poids des dotations d'État sur leur budget.

Si la spécificité insulaire et historique de la Corse ne peut qu'être reconnue, il ne saurait être question d'envisager une telle autonomie territoriale sans faire évoluer dans le même sens le statut des autres régions françaises. Les archaïsmes institutionnels qui pèsent sur la Corse sont les mêmes que ceux qui affectent l'ensemble des régions.

Ces dispositions, contrairement à ce que l'on dit trop souvent, ne mèneront non pas au démembrement de la République française, mais à son enrichissement et à son renforcement dans l'Europe en construction. 

La Corse est-elle un cas à part ?

"On ne voit pas au nom de quoi d’autres régions françaises, où les situations et les aspirations sont différentes, devraient s’aligner désormais sur la Corse", estime Matignon. "L’égalité n’est pas l’uniformité. Notre droit reconnaît depuis longtemps une spécificité de la Corse ; il s’agit de continuer dans cette direction pour la Corse"

Et toc ! Voilà pour les Bretons, Basques, Alsaciens et autres Provençaux qui entendaient tirer parti des propositions faites par le gouvernement aux élus corses. Ils peuvent ranger leurs ambitions au rayon des illusions.

Pourtant, les autres régions françaises à forte identité peuvent-elles se résigner au statu quo alors que de telles avancées sont envisagées pour la Corse ? Si on ne peut que reconnaître à la Corse une spécificité insulaire et historique, il ne saurait être question d’envisager une telle autonomie territoriale sans faire évoluer dans le même sens le statut des autres régions françaises, en particulier celles à forte identité. A fortiori au moment où le gouvernement va recevoir des propositions de la part de la commission sur la décentralisation présidée par Pierre Mauroy.

Au demeurant, comme le relèvent les services du Premier ministre, les autres régions françaises ne sont pas concernées par toutes les dispositions envisagées. En fait, deux séries de mesures intéressent les autres régions.

Il s’agit en premier lieu de la généralisation de l’enseignement des langues régionales dans les territoires où elles sont parlées historiquement. L’Unioun Prouvençalo, le collectif "Prouvènço" ou encore la fédération Parlaren en Vaucluso ont pris position pour que, comme la langue corse en Corse, l’enseignement du provençal et du niçois prenne place dans l’horaire normal des écoles maternelles et primaires de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Et, comme le prévoit le texte gouvernemental, que cet enseignement bénéficie à tous les enfants, "sauf avis contraire des parents".

Mais les mouvements provençaux souhaitent également que la possibilité soit donnée aux conseils régionaux d’adapter certaines dispositions législatives ou réglementaires aux spécificités du territoire dont ils sont l’expression. Dans une motion adoptée lors de son assemblée générale, le 23 septembre à Lourmarin (Vaucluse), l’Unioun Prouvençalo demande ainsi que "la Région puisse bénéficier d’une large autonomie d’initiative dans les domaines qui intéressent son développement, à l’exception des pouvoirs régaliens de l’État (Justice, Défense, Affaires étrangères...)".

Pour la presse provençale, "nous sommes à la croisée des chemins". "L’État jacobin français est aujourd’hui à la croisée des chemins", écrivent Li Nouvello de Prouvènço dans l’éditorial de leur numéro de rentrée. "Si, mettant à profit le règlement de la question corse, il ne sait pas évoluer vers plus de décentralisation, il est certain qu’il connaîtra des problèmes. Si elle comprend qu’il faut adapter les principes intellectuels hérités de 1789, alors la République française garantira son avenir, qui, pour le coup, deviendra fédéral, suivant ainsi l’exemple de la majorité des pays d’Europe". Mais, tout en félicitant d’un règlement pacifique de la question corse, Li Nouvello s’interrogent : "Pour la Corse, qui paiera ? Il serait hasardeux de faire payer par tous ce qui sera donné à la Corse, sans rien donner aux autres régions de France à forte identité culturelle et linguistique".

Même approche dans Prouvènço d’Aro, qui ironise: "Il y a quelque chose qui nous échappe : comment un Premier ministre sensé peut-il accorder dans le cadre de la République l’enseignement obligatoire d’une seule langue régionale ? Peut-être que les Corses savent mieux s’y prendre que nous autres. Nous sommes désarmés face à l’injustice d’un gouvernement qui nous écrase et donne ses faveurs seulement à ceux qui portent les armes". Le journal relève encore cette citation de Guy Carcassonne : "Ce n’est plus autour de dogmes que le débat doit se nouer, mais autour des compétences entre le centre et les régions". Pour Prouvènço d’Aro, "la décentralisation de la France est encore à faire".

(L'Èime Prouvençau, n° 37, septembre-octobre 2000)

 

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