Langues régionales : amendements rejetés mais promesse d'un débat parlementaire
Deux amendements visant à reconnaître les langues régionales dans la Constitution française, présentés par des élus PS et UMP, ont été repoussés, le 15 janvier, lors de leur examen par l'Assemblée nationale. Ces amendements avaient été déposés dans le cadre de la révision de la Constitution, préalable à la ratification du traité européen de Lisbonne. Le gouvernement s'est cependant engagé à " avoir un débat devant le Parlement sur ce sujet ", par la voix de la garde des Sceaux, Rachida Dati.
Les socialistes demandaient de compléter l'article 2 de la Constitution français ("La langue de la République est le Français") par les mots: "dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine".
Dans une autre amendement, plusieurs députés UMP dont le vice-président de l'Assemblée, Marc Le Fur (Côtes-d'Armor), souhaitaient que la France puisse adhérer "à la Charte européenne des langues régionales ou européennes signée le 7 mai 1999".
Les députés UMP ont décidé de renvoyer à l'après-municipales la question de l'adhésion de la France à la Charte européenne des langues régionales, en découplant ce débat de la ratification du traité européen, a indiqué le président du groupe, Jean-François Copé.
Voici le compte rendu officiel de la séance de l'Assemblée nationale du mardi 15 janvier.
Mme Marylise Lebranchu Le nom de Simon Renucci a malencontreusement été omis de la liste des signataires de lamendement 12, qui vise à prendre acte de la Charte européenne en faveur des langues régionales, signée le 7 mai 1999 mais non ratifiée en raison dune décision du 15 juin 1999 du Conseil constitutionnel saisi par le Président de la République invoquant le premier alinéa de larticle 2 de la Constitution. Nous espérons ainsi résoudre un problème auquel nous avons vainement tenté, lors de lexamen dautres textes, dapporter une solution.
Il sagit, sans mettre en péril la République dont la langue, le français, est protégée par cet article 2 , de rendre justice à ceux qui furent humiliés par lobligation, souvent imposée dès lécole primaire, de renoncer à leur langue maternelle humiliation dont notre société porte encore la marque. Il sagit en outre de permettre à la France de senrichir de ses cultures et de ses langues à lheure où lon parle volontiers de diversité. Du reste, le Président de la République a récemment déclaré vouloir encore étendre les créneaux horaires dont bénéficient déjà ces langues sur les chaînes de télévision régionales. Nous proposons donc de compléter le premier alinéa de larticle 2 de la Constitution par les mots : " dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine " (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).
M. Michel Vaxès Très bien !
M. Marc Le Fur Lamendement 13 porte sur le même sujet, qui passionne nos concitoyens comme le savent bien les élus de circonscriptions où les langues, lidentité, la culture régionales revêtent une importance particulière , non seulement ceux qui parlent les langues régionales mais ceux qui, sans les pratiquer, y voient lexpression de leur identité et de leur culture. Il ny a là nulle nostalgie, puisque ce sont les jeunes générations qui sont les plus attentives à ces questions, auxquelles les groupes de musique, mais aussi Internet, les ont sensibilisées.
Pourquoi aborder ces questions à loccasion du débat sur la réforme constitutionnelle ? Parce quun débat serein sur la Charte présuppose de lever le veto que lui a opposé en 1999 Mme Lebranchu la rappelé le Conseil constitutionnel. Tel est lobjet de cet amendement.
Contrairement à ce quobjecteront certains, il ne sagira pas de traduire dans les langues régionales les jugements des tribunaux ou les circulaires administratives : pour quun pays adopte la Charte, il lui suffit dapprouver 35 des 98 dispositions quelle contient en lespère, celles qui ne menaceront pas nos traditions et qui portent par exemple sur les médias ou sur lenseignement, déjà fort, en Bretagne, en Alsace, au pays Basque, en Catalogne ou en Corse, de réseaux publics, privés ou associatifs. Il ne sagira pas non plus douvrir grand la porte aux langues de limmigration (Exclamations sur les bancs du groupe GDR), puisque la Charte ne porte que sur les langues locales.
On mobjectera sans doute aussi que ce nest pas lobjet du débat. Mais ne nous penchons-nous pas sur un sujet européen par excellence ? Pouvons-nous nous satisfaire que la France soit, avec lItalie, le seul Etat membre de lUnion à ne pas avoir ratifié la Charte ?
Enfin, le Président de la République nous invite à nous enrichir de notre diversité ; de cette diversité, les langues régionales sont lun des premiers éléments.
Pour toutes ces rasons, nous vous proposons dadopter lamendement, qui ne vise pas à ladoption de la Charte mais à la levée des obstacles constitutionnels préalables à son adoption. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur et président de la commission La commission a exprimé un avis défavorable à ces deux amendements. Dune part, tout son travail a porté, depuis des semaines, sur la révision constitutionnelle indispensable à la ratification du traité de Lisbonne et sur ce la seulement. Dautre part, le président de la République a pris lengagement douvrir un débat sur la réforme de nos institutions. Dans ce contexte, ladoption des amendements me paraît tout à fait inopportune. En revanche, une réflexion se justifie pleinement sur les langues régionales, qui font partie de notre patrimoine et qui, à ce titre, doivent être préservées et transmises. Savoir sil faut, pour autant, aller jusquà modifier la Constitution est une autre histoire, et je viens dailleurs dentendre dire que les objectifs visés peuvent déjà être atteints.
Faut-il ratifier la Charte ? Si cela na pas été fait à ce jour, cest que le texte comporte une seconde partie ainsi rédigée que, si nous le ratifiions, une majorité pourrait un jour donner le droit imprescriptible dutiliser dans la vie publique une autre langue que le français le voulons-nous ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) Quoi quil en soit, la sagesse commande, aujourdhui, de sen tenir au chemin tracé, qui est de permettre la révision constitutionnelle, préalable indispensable à la ratification du Traité de Lisbonne. Le Gouvernement saura nous dire comment il envisage la suite, sagissant des langues régionales, qui participent en effet de notre patrimoine commun, et si une révision constitutionnelle peut se concevoir mais nul ne peut prétendre que tout serait par là même réglé.
La commission appelle lAssemblée à rejeter ces amendements et à permettre la ratification du traité de Lisbonne, grande victoire pour la France et pour le Président de la République. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
M. Pierre Lequiller, président de la Délégation pour lUnion européenne Je partage ce point de vue. Dautres questions " européennes " se posaient celle du système de ratification de ladhésion de nouveaux membres de lUnion mais nous avons choisi de ne pas les traiter aujourdhui et de nous en tenir strictement à la révision de la Constitution nécessaire à la ratification du traité de Lisbonne. Restons-en là, et étudions ultérieurement la question des langues régionales.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux Le Gouvernement exprime un avis défavorable sur les amendements, qui nentrent pas dans le champ de la modification du titre XV de la Constitution qui vous est soumise, mais il sengage à ce quun débat parlementaire ait lieu sur la délicate question des langues régionales.
M. le Président Étant donné limportance du sujet, je donnerai exceptionnellement la parole à un représentant de chaque groupe avant dinviter lAssemblée à passer au vote.
M. Pierre Méhaignerie Partageant la conviction de celles et de ceux qui jugent nécessaires daccorder une particulière attention à lexigence de reconnaissance didentité et de racines, jai cosigné lamendement de notre collègue Le Fur. Mais, prenant acte de lengagement du Gouvernement, je pense que nous ne devons pas brouiller le message européen, et je ne voterai donc pas lamendement (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
M. Patrick Roy Un pas en avant, deux pas en arrière !
M. Jean Lassalle Jobserve que ce nest jamais le bon moment daboutir à un texte que nous aurions pourtant dû adopter il y a déjà longtemps ! Le temps nest-il pas enfin venu de rattraper ce grand retard en levant lembargo qui empêche lapprentissage des langues régionales en France ? Cest notre tradition, notre culture, notre patrimoine, et la France na pas à en rougir. Sil y a du souci à se faire, cest plutôt au sujet de linexorable progression de langlais !
M. Jean-Jacques Urvoas Alors que la diversité est une des richesses de la République, on nous dit toujours que le moment dun tel débat est mal choisi. Les mêmes amendements ont été présentés, avec les mêmes arguments, le 24 janvier 2005, et le Gouvernement de lépoque a pris le même engagement : " on en discutera plus tard " ! Pourtant, est-il sujet plus européen ? Sait-on que, depuis 1993, tout Etat adhérant à lUnion doit obligatoirement signer la Charte
M. Jean-Luc Warsmann Cest inexact.
M. Jean-Jacques Urvoas que la France a elle-même signée en 1999 ? Pendant que nous tergiversons et repoussons la discussion, les langues régionales sont peu à peu menacées dextinction. Je plaide donc en faveur de ladoption des amendements et de la modification de la Constitution à ce sujet (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, GDR et UMP)
M. Michel Vaxès Comme cela a été rappelé, la question a été abordée le 24 janvier 2005. A lépoque, il nous avait été dit que, certes, le sujet était intéressant mais que les divergences au sein des différents groupes au sujet de la composition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie objet du débat général étaient telles que des incertitudes pesaient sur laboutissement de la révision constitutionnelle. Aujourdhui, lissue du scrutin est certaine. Quel risque prendrions-nous à suivre Mme Lebranchu, alors que nous venons dentendre dire, sur tous les bancs, que les langues régionales font partie de notre patrimoine culturel et quà ce titre elles doivent être préservées ? Inscrivons-le dans la Constitution ! Comme les autres élus communistes, unanimes, je soutiendrai lamendement 12 avec beaucoup de conviction.
Les amendements 12 et 13, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.